La fraction du pain (de l’épisode des deux disciples d’Emmaüs) est pour Saint Luc le mystère par lequel Dieu peut, aujourd’hui, se communiquer le plus à notre âme.
Les apparitions ne doivent pas advenir. Il sera toujours avec nous mais nous ne Le verrons pas.
Cependant, Sa présence n’est pas inactive. ; elle donne à notre âme de renaître, petit à petit, de l’incrédulité à la foi, du désespoir à l’espoir, du manque d’amour (parce que Dieu était mort, « notre cœur ne brûlait-il pas au-dedans de nous ? ») à l’ardeur de la charité. Quelle est la vie chrétienne après la résurrection du Christ ? Celle que les apôtres n’avaient jamais connue avant la résurrection : l’exercice des vertus théologales. En effet, l’espérance des apôtres avant Sa mort était d’être à la droite et à la gauche de Jésus lorsqu’Il gouvernerait le monde ; la foi des apôtres était en Jésus en tant que Rabbi, non pas comme Fils de Dieu, non pas comme Celui de qui dépend le salut du monde, un salut eschatologique.
Cette page des disciples d’Emmaüs est symbolique : nous sommes tous représentés dans ces deux disciples. Très souvent, nous oublions que le Christ est avec nous. Que de fois ne nous asseyons-nous pas à table en ayant l’impression que le Seigneur n’est pas à table avec nous ! Très souvent lorsque nous allons travailler, nous croyons que nous sommes seuls alors qu’Il est toujours avec nous. Rappelons-nous qu’Il n’est pas uniquement présent à l’Eglise. La présence du Christ dans l’Eglise (c’est l’enseignement de Saint Mathieu) est une présence ordonnée à la mission de l’Eglise. Ici par contre, c’est la présence du Christ en deux disciples simples ; ils ne sont pas apôtres mais deux personnes comme nous. Les autres étaient loin, le monde s’était éloigné d’eux, ils entraient dans l’obscurité du soir, marchant vers Emmaüs. C’est ainsi que nous aussi, au fur et à mesure que nous marchons, nous nous sentons toujours plus seuls et le silence descend dans notre vie. Mais ce n’est pas vrai : Quelqu’un nous accompagne et malgré le fait que le silence et la solitude deviennent de plus en plus grands (parce que nos enfants s’en vont de la maison, parce que nous allons à la retraite et il nous semble que notre vie se vide de plus en plus), en réalité, l’existence devient toujours plus limpide et plus riche de vie intime parce que la foi devient plus lumineuse, parce que l’espérance (on ne sait comment) devient plus profonde et la charité toujours plus réelle dans nos cœurs.
Un chrétien – s’il demeure fidèle – plus il avance dans les années, plus il va non pas vers la mort mais vers la vie. Nous avons l’exemple sur cette page-là : le Christ se dévoue totalement à ses fils et ne demande rien pour Lui. Il évite de plus en plus de recevoir et ne fait que donner.
Cette page de Saint Luc est une très grande page. Comme à l’accoutumée, Luc n’est ni ecclésiastique comme Mathieu, ni mystique comme Jean, ni kérygmatique comme Marc mais c’est l’évangéliste de la vie chrétienne.
(…) Nous vivons l’aube, le jour et le crépuscule d’une vie qui va vers la mort mais uniquement sur le plan biologique et psychologique ; sur le plan de la foi, par contre, nous allons vers la lumière. Raison pour laquelle nous ne savons pas vraiment si c’est une marche vers la nuit et non pas vers un jour qui s’annonce toujours plus proche.
Cette page de Luc (Luc 24, 13-35) est la page la plus normative de la vie chrétienne de chacun de nous ; les deux disciples n’ont reçu aucune mission, ils ne renaissent que pour une vie nouvelle. C’est la page qui dit précisément le contenu de la vie présente du chrétien ; être avec Lui, même sans expérimenter jusqu’au bout cette présence, même sans en être tout à fait certain. Malgré cela, les effets de cette présence se font sentir pour chacun de nous dans une foi toujours plus vraie, toujours plus grande, dans une espérance plus vivante, dans un amour qui nous dilate toujours plus. Il est avec nous.
Exercices Spirituels à Muzzano, 2-6 août 1986